PÉRIGNAC : LÉGENDE D'ARKARA

La fée Marianne prend Primus Tasal dans ses bras et le berce en chantant une mélodie qui le guérit complètement. Mais le singe se sent si bien qu’il fait semblant d’éprouver encore quelques douleurs jusqu’au moment où il réalise que les sept calamités se sont introduites dans sa terre miniature. Il saute des bras de sa gentille infirmière et remonte rapidement sur sa bille en disant à la fée qu’il doit vérifier si les fléaux ont créé beaucoup de dommages sur sa Terre chérie. Il fait rouler rapidement sa bille vers un couloir lumineux qui vient d’apparaître devant lui comme par enchantement. Marianne fait semblant de croire Primus lorsqu’il prétend vouloir évaluer les dommages causés par les fléaux. Elle sait très bien que ce singe a tellement voyagé sur sa planète à travers les siècles qu’il sait parfaitement ce qui va arriver aux Terriens et à la nature. Primus a cette manie de prétendre ne pas savoir ce qu’il sait déjà. Il faut une sacrée dose d’amour envers les Terriens pour parvenir à conserver une sérénité remarquable malgré toutes les bêtises que ses habitants commettent à travers les siècles.

Marianne trouve Manuel encore en compagnie de Chronos qui ne cesse de s’excuser pour le mal commis par ses mercenaires. Il déplore cet incident en disant qu’il n’avait pas prévu que son armée déciderait de prendre de l’initiative sans en avoir reçu l’ordre. Il essaie de savoir si le livre fantastique a subi des dommages. Le jeune Maître du destin caresse la crinière de la jolie licorne en précisant que l’une des sauterelles a laissé son parfum infecte sur un symbole qu’il venait à peine de dessiner avant son arrivée. Il s’agit de l’étoile de Mercéür qui possède la forme d’une cruche. Il ne peut l’effacer même si cette odeur risque d’influencer les Paysans qui auront cette tendance à fuir la compagnie de cet enfant sans trop comprendre pourquoi. C’est très grave puisque le petit frère de Manuel devra s’attendre à être rejeté. La population trouvera toutes sortes de prétextes pour se tenir loin de lui. Chronos se sent responsable de ce malheur et déclare à Manuel qu’il peut prendre tout le temps qu’il lui faut pour préparer la fin d’Arkara. Le jeune Maître du destin profite de l’un des rares moments de générosité de Chronos, pour lui demander de laisser un missionnaire séjourner un assez long moment dans son royaume après la destruction d’Arkara. Sa présence sera essentielle car il aura à réveiller un certain nombre d’Entités qui se retrouveront sur Terre après avoir oublié leur nature arkarienne. Chronos lui accorde le droit de choisir ce missionnaire qui ne sera jamais limité par le temps afin de lui permettre d’accomplir son mandat. Il lui octroie le titre de missionnaire du temps puisque lui seul sera autorisé à vivre dans son royaume aussi longtemps qu’il le jugera nécessaire pour accomplir sa mission. Mais Chronos n’accordera cette permission spéciale que si les écrits précisent que ce missionnaire est celui du Maître du temps. Il ne veut pas que d’autres viennent solliciter un tel privilège et demande donc à Manuel d’indiquer cette précision lorsqu’il choisira celui qui conservera tout de même, son entière indépendance. Le jeune Maître lui prouve qu’il comprend sa prudence en indiquant aussitôt dans son livre magique que Egapalentour est le missionnaire du Maître du temps. Chronos se retire sans plus de cérémonie. Egapalentour est l’anagramme de « tourne la page. » Il faudra à présent lui trouver son vrai nom.

La fée Marianne songe évidemment à son petit Perlin qui aura à subir le rejet avant même de pouvoir s’habituer à sa nouvelle identité. Manuel devine ses pensées mais n’est pas en mesure de changer les événements. La seule consolation de Mercéür tient à fort peu de chose: il n’aura pas à subir cette réalité pendant des milliers d’années car le jeune missionnaire de la fin des temps va naître bientôt. Sa naissance entraînera un mouvement sans retour qui conduira Arkara à sa destruction. En attendant, Mercéür éprouvera cette solitude que tous les immortels expérimentent en vivant au contact des mortels. Manuel sait cependant que son jeune frère est destiné à devenir un missionnaire sur Terre, et sera même appelé à gouverner un jour le royaume de Féerie lorsqu’il aura retrouvé, grâce à la fée Marianne, sa nature originelle. Il voit également que plusieurs obstacles de tailles se dresseront devant lui, et cela lui fera comprendre beaucoup de choses sur l’amour, la compassion et la communication entre les êtres. Il ajoute ironiquement à la fée que toutes les Entités sont des immortelles qui préfèrent souvent s’accrocher à la vie dans la matière, plutôt qu’à chercher à élever leur niveau de conscience au point où elles comprendront enfin que la Vie est le reflet d’un seul corps universel qui prend plusieurs images selon celui qui la voit. Elles réaliseront surtout que l’univers entier se trouve en chaque âme et que chaque âme fait partie de l’univers. Cela éviterait bien des conflits si les Entités s’en rendaient compte plus souvent lorsqu’elles habitent un corps physique.

Un corbeau est perché sur le buste d’Alba et croasse un moment dans le but d’attirer l’attention du seigneur fruitier. Lorsque celui-ci s’approche assez près, l’oiseau au plumage sombre lui demande de faire tout en son pouvoir pour obtenir la garde d’un jeune Paysan qui porte le nom de Mercéür. Baa-Bouk connaît la véritable identité de ce garçon et désire accorder à son serviteur l’opportunité d’acquérir l’immortalité grâce au pouvoir inconnu de Mercéür. Il suffira d’obtenir de ce dernier, une goutte de son sang versée dans un litre de vin. Alba plongera alors dans un état se rapprochant de la transe, et pourra ainsi visiter le monde originel où se trouvent tous les grands secrets de la Création. Enfin! Nul ne l’empêchera de goûter à cette jouissance d’être le plus puissant de la Terre car c’est sur cette planète que le monstre veut l’établir à la tête de la secte, et non sur Arkara qui amorce déjà son déclin. Le seigneur fruitier regarde l’oiseau s’envoler et va s’enquérir auprès des villageois sur ce garçon appelé Mercéür. Il apprend que l’enfant a déjà été placé dans cinq foyers différents depuis que les religieux prétendent l’avoir trouvé dans le bois qui entoure la jolie pyramide. Des mauvaises langues disent que l’enfant serait le fils d’un Grand-Prêtre disparu étrangement depuis un certain temps. Alba devine qu’il s’agit d’Adiech, fondateur de l’Ordre des Grands-Prêtres. Le seigneur fruitier est amusé par ces racontars auxquels il ne croit pas puisqu’il sait parfaitement que cet enfant est un Immortel et non un Arkarien. L’origine de Mercéür ne présente aucun intérêt pour Alba. Tout ce qu’il veut, c’est son sang… uniquement son sang magique. Cependant, il est tout de même heureux d’apprendre que toutes les familles qui tentent de prendre la charge de Mercéür abandonnent leur protégé entre les mains des Grands-Prêtres dès que son étrange comportement les dérangent. Il faut dire que l’enfant a l’habitude de cesser de bouger pendant des heures et fixe devant lui sans que personne ne puisse lui parler. Un jour, son dernier tuteur a même découvert un couteau pointu dans la main du jeune bizarre. Aussi, il n’est plus question de lui trouver un autre foyer d’accueil. Ce couteau fut identifié par Primus Tasal comme étant en réalité une dague dont l’origine remonte au début des premiers rois de France. La majorité des objets ramenés par Mercéür inquiètent ses parents nourriciers ainsi que les Grands-Prêtres depuis qu’ils réalisent que cela ne sera plus facile à présent de lui trouver une famille. Alba vient les trouver pour demander la charge de l’enfant et reçoit un refus catégorique. Les religieux ne peuvent prouver qu’il est à la tête de la secte « Blanc et Noir » sauf que la prudence les oblige à ne pas confier l’enfant à un tel personnage. Alba n’est nullement surpris de ce refus. Il va s’y prendre autrement pour obtenir ce qu’il veut. Il demande à ses fidèles de ne pas refuser d’accueillir Mercéür si les religieux viennent solliciter leur compassion envers cet enfant qui a besoin d’un bon foyer. Le seigneur fruitier n’est pas assez naïf pour envoyer quelqu’un demander lui-même la charge du jeune rejeté. Il va sans dire, que cela paraîtrait vraiment douteux aux yeux des Grands-Prêtres. Il faut donc attendre que ceux-ci le proposent d’eux-mêmes. Quelques jours plus tard, l’un de ses fidèles accepte de s’occuper de l’enfant et en informe aussitôt Alba. Celui-ci lui demande de convaincre Mercéür d’apprendre le métier de vigneron. Aucun religieux ne pourra lui reprocher de vouloir initier ce jeune Paysan à l’art de produire les meilleurs vins du pays. Il sait qu’il est l’expert dans ce domaine et que ce sera perçu comme un honneur par la population, s’il accepte de veiller personnellement à faire du protégé des religieux, le futur meilleur vigneron du canton. Les Grands-Prêtres se voient dans l’incapacité d’intervenir puisqu’ils ne sont désormais plus les tuteurs de cet enfant. Ils tentent d’influencer les parents nourriciers pour qu’ils dirigent plutôt Mercéür vers un autre maître qu’Alba, mais ils réalisent très rapidement qu’ils perdent leur temps à convaincre des gens qui sont déjà au service du seigneur fruitier.

Deux nouvelles étoiles viennent d’apparaître dans le ciel. La première présente la forme d’un cœur et l’autre ressemble à une pierre précieuse. Pour la première fois de l’histoire arkarienne, deux enfants sont nés dans un même cocon. Les parents sont vraiment heureux d’avoir deux fils identiques, sauf qu’ils n’avaient prévu qu’un seul nom. Ils veulent celui de Kana, ce qui signifie le bon vin. C’est Phardate qui suggère d’inverser celui-ci pour le donner à leur autre fils. C’est ainsi que Anak et Kana deviennent les fils d’Adamas et Gracia. Tous les Paysans sont heureux d’apprendre l’existence des premiers jumeaux de la planète. Évidemment, il faut exclure Alba qui en profite pour prétendre que si son fils Byblos possède une étoile divisée en deux, il peut dire au moins qu’il n’a pas hérité de deux moitiés de fils. Il prend plaisir de se moquer évidemment des jumeaux. Toutefois, ses remarques désobligeantes dérangent beaucoup plus la population que les parents et leurs fils. Car ce n’est un secret pour personne que le seigneur fruitier est jaloux du Grand Superviseur du canton depuis toujours. Kana sera ce missionnaire de la fin des temps et n’est pas l’envoyé de Chronos même si les écrits diront le contraire un jour, mais plutôt celui d’Absou, le Maître du feu universel. C’est pour cela que Manuel a dessiné son étoile en forme de joli cœur. Il a déjà songé au jumeau de Kana en dessinant la sienne en forme de rubis car Anak héritera à son insu de la pierre fantastique dans laquelle se trouve Arkara en miniature. Les jumeaux seront tous les deux d’excellents missionnaires même si Kana sera beaucoup plus connu que son frère. Ils n’ont pas le même destin puisque l’un sera le missionnaire du feu d’Amour et l’autre de la Sagesse. Anak et Kana se complètent déjà exactement comme le corps et l’esprit.

Bien que les Grands-Prêtres sachent que l’un des jumeaux est Egapalentour, ils s’abstiennent de prédire lequel va justement donner un nom au dragon qui habite la vallée musicale. Le Grand-Maître Adiech leur demande de ne pas se montrer plus paternels envers les jumeaux qu’envers les autres enfants du canton. Il suggère plutôt à ses confrères de visiter régulièrement le jeune Mercéür pour mieux connaître son état d’esprit. Il refuse de dévoiler qu’Alba cherchera un jour à utiliser les pouvoirs de cet enfant. Dès le lendemain, un religieux trouve un prétexte pour venir visiter le bambin. Il lui pose quelques questions bien qu’Alba cherche à lui faire comprendre qu’il est importun de venir le déranger pendant qu’il enseigne à son jeune apprenti vigneron comment reconnaître les meilleurs raisins parmi les moins bons. Le Grand-Prêtre dit comprendre ses bonnes intentions, mais qu’il doit vérifier si la mémoire de Mercéür s’améliore depuis la dernière fois qu’il lui a parlé. Alba demande à son élève de s’éloigner avant de répondre à son vis-à-vis avec sarcasme, que ce garçon a consommé sûrement une drogue très puissante pour avoir oublié tout de son passé. Le religieux fait semblant d’ignorer cette remarque puisqu’il sait très bien que le seigneur fruitier cherche à l’intimider. Alba ajoute qu’il n’a pas besoin de fouiller dans le passé de cet enfant pour comprendre sa destiné. Son étoile en forme de cruche de vin indique clairement qu’il deviendra vigneron. Le religieux relève la tête pour examiner l’étoile de Mercéür puis lui demande calmement si quelqu’un a vu ce que contient cette cruche? Non, alors pourquoi prétendre qu’il s’agit d’une cruche de vin? Le seigneur fruitier lui répond par une grimace avant de s’éloigner à son tour.

Le temps passe et Mercéür est devenu un jeune adulte dont déjà la réputation de « soûlard » est connue partout dans le canton. Les témoins qui le voient zigzaguer sur les routes ne cessent de secouer tristement la tête en se demandant si cela valait la peine de devenir le meilleur vigneron du pays après Alba? De son côté, le seigneur fruitier perd la tête de plus en plus souvent, depuis qu’il se prend pour un dieu. Il se montre surtout encore beaucoup plus exigeant envers ses ouvriers. Ses colères sont fréquentes et surtout injustifiées. S’il trouve un fruit pourri, il accuse aussitôt les cueilleurs de paresseux. Selon lui, c’est à cause de leur nonchalance chronique que des fruits pourrissent sur des branches. Pire encore, celui qu’il surprend à jeter un fruit à peine croqué se voit interdire l’accès aux vergers communautaires. Pour lui, un Paysan qui croque dans un fruit pour le jeter ensuite ne mérite pas de fréquenter les vergers. Les religieux interviennent à chaque fois pour réintégrer les contrevenants. Alba accuse les Grands-Prêtres d’encourager le gaspillage et leur demande même à quoi cela lui sert de produire les meilleurs fruits s’ils sont gaspillés comme les moins bons? Les religieux savent que ce dictateur est simplement frustré de ne pouvoir imposer ses lois aux Paysans qui viennent cueillir un bien qui leur appartiennent. Alba n’est pas le propriétaire de ces vergers qui sont la propriété de la communauté. Par conséquent, les Grands-Prêtres n’hésitent jamais à lui rappeler qu’il n’a pas à punir quelqu’un qui préfère croquer dans plusieurs fruits plutôt que d’en manger quelques-uns uns et oublier la saveur des autres.

Le couple qui loge Mercéür depuis qu’il est enfant se fait accuser de négligence par ses voisins. Ce jeune homme est exploité par son patron depuis plusieurs années sans que les tuteurs n’interviennent pour au moins retirer leur protégé des vignobles. Les voisins ignorent que ce couple fait partie de la secte secrète d’Alba et que c’est lui qui décide tout depuis toujours. Le résultat est catastrophique si l’on considère que Mercéür n’a pas d’amis, pas de liberté, et ne peut même pas songer à fréquenter les Paysannes. Il travaille aux vignobles sans arrêt où sa seule consolation arrive lorsque son patron lui demande de venir évaluer les nouveaux vins. C’est un moment de répit qui se termine toujours par une beuverie. Alba l’encourage à boire énormément et lui demande ensuite, de verser une goutte de son sang dans un litre de vin. À chaque fois son employé est étonné par une telle demande puisqu’il ignore sa nature originelle. Son patron parvient tout de même à la fin, à obtenir une goutte de ce sang immortel. Mercéür s’écrase ensuite dans un coin en se tenant la tête à deux mains miné à cause d’une affreuse migraine qu’il éprouve à chaque fois qu’il cède aux pressions d’Alba. Puis son corps lui fait très mal comme si quelque chose tentait de s’en libérer. De son côté, l’extase que connaît Alba est tellement intense qu’il s’élève parfois à quelques mètres du sol. Il voyage alors dans un monde où normalement la recherche des grands secrets du Monde devrait l’inciter à devenir plus sage. Mais le seigneur fruitier est un être si orgueilleux que l’essence de l’immortalité qu’il obtient pèse très peu parmi tous les pouvoirs monstrueux qui se collent à lui lorsqu’il traverse le monde des ténèbres. Ce lieu est celui des confusions qui n’existe pas dans une quelconque dimension, mais simplement dans l’état d’esprit de celui qui voyage en dehors de son corps. Il voit des illusions prendre forme comme dans la réalité. Dans le cas du seigneur fruitier, ce sont des personnages qui l’encouragent à poursuivre ses folles ambitions et qui se disent même disposés à l’aider. Puisque c’est le pouvoir qu’il veut, les énergies négatives se collent à lui pour l’inciter à commettre des méfaits. Il devient peu à peu aussi noir à l’intérieur de lui que Baa-Bouk. Alba est en mesure de matérialiser ces forces obscures en leur donnant même l’apparence des Paysans. S’il ne le fait pas, c’est simplement à cause des Grands-Maîtres du Mont Bellapar qui sont vraiment doués pour renvoyer de tels monstres à leur point d’origine. Mercéür se promet à chaque fois de ne plus offrir son sang à ce vampire et oublie sa promesse dès que le seigneur fruitier lui dit qu’il aimerait l’adopter. Il veut un père même si cela l’oblige à ne pas dénoncer les étranges demandes du seigneur fruitier. Mercéür réalise très bien que son patron part en transe dès qu’il a bu ce vin mêlé à du sang car il n’a nul besoin de se faire expliquer ce phénomène qu’il connaît si bien. Depuis peu aussi, Alba prétend qu’il est en mesure de lui fournir des informations sur ses origines et il lui cède ce qu’il veut car il se questionne beaucoup. Il faut savoir que Mercéür sent qu’il n’est pas comme les autres Paysans et n’est jamais parvenu à pénétrer dans le monde originel depuis qu’il a chuté dans l’océan des Créations. À chaque fois qu’il s’approche de sa terre patrie, une voix lui interdit d’aller plus loin et lui répète à chaque fois qu’il doit d’abord purifier son sang. Il ne comprend pas encore que ce sang n’est pas celui qui coule dans ses veines, mais son essence originelle. Comme on le sait, il n’y a que la fée des eaux pures qui puisse accomplir ce prodige. Tout de même, la naïveté de Mercéür lui laisse supposer que ce fichu Alba sera peut-être plus chanceux que lui pour parvenir à s’introduire dans le monde originel. Cependant, non seulement ce monstre n’est pas autorisé à y entrer, mais il ignore sans doute aussi que son immortalité ne lui donne pas pour autant sa place parmi les Olympus.

Le corbeau vient demander un soir à Alba d’adopter Mercéür car les voisins de ses présents tuteurs risquent de parvenir à la longue, de ne plus en prendre la responsabilité. Baa-Bouk est catégorique en disant que les Grands-Prêtres n’attendent que cette occasion pour retirer le jeune immortel des vignobles et ainsi priver son serviteur du sang de son meilleur vigneron. Alba se montre d’une telle douceur envers Mercéür que son propre fils en devient jaloux. Le seigneur fruitier trouve mille et un talents à son élève et finit par lui dire qu’il aimerait bien l’avoir comme deuxième fils. Mercéür ne tient plus en place. Il court partout pour dire qu’il va être adopté. Les Grands-Prêtres reçoivent évidemment la demande d’adoption officielle et tentent alors de faire comprendre au pauvre jeune homme à peine sorti de l’adolescence que le seigneur Alba n’est peut-être pas le père idéal et considèrent que ce dernier exige beaucoup trop de lui comme vigneron. Mais l’orphelin est disposé à oublier cela puisqu’il veut un père à tout prix… comme les autres jeunes. Malheureusement, aucun villageois accepte de se sacrifier pour faire également des demandes d’adoption puisque personne ne veut se retrouver avec un alcoolique sur les bras. Cela oblige les religieux à considérer la demande d’Alba qui se dit très fier d’avoir un autre fils même si personne ne le croit. Son fils Byblos est averti de ne pas causer d’ennuis à son nouveau frère qui possède à présent sa place à la table familiale. Le jeune sculpteur qui ignore les pratiques de son père comprend mal sa décision d’adopter un tel soûlard.

Depuis son adoption, Mercéür possède un peu plus de liberté. Il fréquente régulièrement la carrière de pierres cactus où il aime bien s’entretenir avec Gerbin, le contremaître. Celui-ci lui raconte toutes sortes d’histoires fascinantes et même très amusantes. Le fils adoptif va également nourrir les dragons verts à l’occasion qui aiment bien les fleurs de nénuphars. Mercéür ne refuse plus de donner du sang à son paternel. Gerbin le trouve un après-midi assis dans un coin de la carrière complètement ivre. Le jeune contremaître ne le juge pas et essaie de l’aider à se relever quitte à le ramener chez lui s’il le faut. Mercéür le regarde d’un air désespéré : il ne sent pas la boisson et son langage n’est pas altéré par l’alcool. Pourtant, il refuse d’être reconduit chez lui malgré qu’il marche en zigzagant. Il raconte tout de même à son ami qu’il vient d’apercevoir son père se disputer avec un corbeau qu’il accusait de l’avoir induit en erreur en prétendant pouvoir faire en sorte de le plonger dans le monde originel, mais des forces le repoussent à chaque tentative. Il a dit qu’il veut savoir du Maître comment s’introduire dans cette dimension des couleurs puisqu’il saura tout sur l’origine du Monde. Mercéür prend des risques énormes en racontant cela à son ami. Sans doute a-t-il peur. Craint-il découvrir ce lien qui existe entre le sang qu’il donne à son père adoptif et la folie qui ronge celui-ci? Le jeune contremaître ignore pourquoi son ami a peur. Il sait cependant qu’il est dans l’intérêt de Mercéür de ne pas répéter à d’autres de telles révélations. Après son départ, il va visiter le Grand-Prêtre Lemu. Le chef des religieux l’invite à prendre le thé. Il trouve étrange de se faire demander par son ancien élève si les Croucounains sont ivres lorsqu’ils marchent en zigzagant? Lemu fait semblant ne pas comprendre sa question. Alors Gerbin lui pose la question autrement lorsqu’il demande si Mercéür est ivre lorsqu’il marche en zigzagant? Lemu soupire avant de répondre qu’il n’est pas plus ivre que les Croucounains. Gerbin lui demande alors s’il est possible que Mercéür prépare une sorte d’élixir pour son père adoptif; quelque chose qui pourrait se comparer au djinardin? Le Grand-Prêtre n’a pas le droit de lui répondre mais lui fait un petit sourire qui confirme les craintes du jeune contremaître. Il se lève et dit ironiquement que s’il était un corbeau, sans doute se moquerait-il des gardiens de l’enclos. Gerbin ne veut pas donner sa source d’informations pour ne pas compromettre Mercéür.

Le Grand-Prêtre Lemu, Dorgon et Phardate se promènent sur le mur de l’enclos en se disant qu’ils ont manqué de jugement en oubliant cette possibilité de voir Baa-Bouk se servir d’un oiseau pour dicter ses volontés à ses dévots. Dorgon avoue qu’il aurait été prudent de placer une grille pour empêcher un volatile de s’introduire dans la caverne par le puits de lumière. Il faut s’assurer que le monstre se sert vraiment d’un oiseau comme messager. De nouveau, Dorgon fait appel aux animaux et surtout aux oiseaux pour surveiller discrètement l’enclos et les environs. Le message se transmet parmi les oiseaux autres que les corbeaux. Quelques jours plus tard, deux tourterelles viennent se poser devant la hutte de Dorgon. Lorsque le protecteur de la planète les invite à entrer, elles vont se poser sur le dossier d’une grosse chaise. Selon elles, un corbeau s’est introduit par le puits de lumière et s’y trouve encore. Dorgon leur demande de rassembler plusieurs oiseaux en vue d’attraper ce messager du monstre lorsqu’il sortira de la caverne. Baa-Bouk trouve anormal d’entendre des battements d’ailes au-dessus du puits de lumière qui résonnent trop pour être le fait d’un seul volatile. Il se doute aussitôt que Dorgon vient de découvrir son messager et préfère le dévorer plutôt que d’être découvert. Le monstre vient de perdre à présent tout contact avec ses dévots. Il rugit en voyant le vaisseau de Dorgon passer lentement au-dessus de la caverne, s’immobiliser et laisser sortir une énorme grille de la spirale qui vient obstruer le puits de lumière. Alba, de son côté, attend toujours la réponse du Maître et puisqu’elle tarde, son orgueil l’incite à croire que Baa-Bouk refuse d’admettre qu’il ignore la réponse. Il ose même se prendre pour cet élève qui finit par dépasser son Maître. Mercéür ne risque pas d’être ennuyer par son père adoptif pour avoir dévoilé à Gerbin l’existence du messager de Baa-Bouk. Les Grands-Prêtres ont ignoré la source d’informations du contremaître de la carrière, donc, ne peuvent prendre l’initiative d’aller questionner Alba au sujet de ce corbeau de malheur.

Accompagnés de leurs parents, les jumeaux se rendent devant la fameuse tour en or pour admirer le Cœur fantastique. Tous les Paysans aiment en faire autant depuis que des conteurs affirment que le Souverain entend parfaitement le discours de ses sujets lorsqu’ils lui adressent des demandes particulières ou simplement pour le remercier pour sa bonté légendaire. Kana discute avec son jumeau lorsqu’une force mystérieuse le soulève dans les airs. Le jeune Paysan âgé que d’une douzaine d’années ignore ce qui se passe et demande aussitôt de l’aide. Mais peine perdue, il se retrouve au sommet de la tour exactement où la pointe du Cœur fantastique repose sur la pyramide. L’enfant a peur jusqu’au moment où une petite voix lui demande de ne pas craindre son énergie. Kana réalise qu’il vient d’entendre le cœur lui parler à l’oreille. Cette sensation est si douce qu’il sourit en silence. Le jeune souverain lui dit qu’il connaît très bien sa réputation de joueur de tours. Personne ne peut se vanter dans le canton d’avoir été épargné par les jumeaux. Ils jouent constamment des tours partout dans leur entourage et personne n’est épargné que ce soit un Paysan, un Connient, les Grands-Prêtres, et même les animaux en parlent. Le joli cœur lui demande donc de lui raconter l’une de ses meilleures espiègleries. Kana lui dit qu’il a profité du moment où un jeune Connient prenait son bain dans un étang pour introduire des canards dans le vêtement que celui-ci avait déposé sur le bord de l’eau. Lorsque ce dernier aperçut son linge se promener devant lui, sa seule réaction fut de fuir nu vers son village. Le Souverain rit tellement fort que des jets de lumière sortent par saccades de son cœur d’enfant. Il demande ensuite à Kana de venir s’entretenir souvent avec lui. Après en avoir fait la promesse, le jeune visiteur est saisi par une autre force produite par les glaçons magiques des Grands-Prêtres. Ils manipulent l’intrus à distance avant de le déposer en douceur devant Colombin, le gardien de la tour. Celui-ci lui fait alors remarquer qu’il est interdit de s’aventurer à l’intérieur du cercle. Kana lui répond naïvement qu’il n’a même pas eu le temps de voir ce cercle avant de se retrouver au sommet de la tour. Il comprend cependant l’inquiétude de Colombin qui tient à sa réputation de gardien et promet de lui demander, à l’avenir, la permission d’y aller avant de revenir discuter avec le Cœur royal. Le Grand-Prêtre Lemu s’approche en riant de voir la candeur d’âme du jumeau et pose ses mains sur sa tête en lui disant qu’il l’autorise à traverser le cercle interdit à la condition que chaque fois, ce sera le Cœur lui-même qui utilisera son énergie pour le conduire jusqu’à lui. Le religieux vient de découvrir lequel des jumeaux est le missionnaire mais comme il. ne veut pas brusquer la mission de ce jeune Paysan, il garde cette information pour lui. Ses parents eux, sont perplexes et n’y comprennent rien. Ils posent d’innombrables questions aux religieux puisque leur fils aurait dû, logiquement, être cuit comme un œuf au sommet de la tour. Ce fut un mystère mais pour Adamas et Gracia, ce n’est en fait qu’un début car ils n’ont encore rien vu.

Les jumeaux sont toujours ensemble et s’amusent souvent à se faire passer l’un pour l’autre lorsqu’il s’agit d’aller s’excuser à des voisins pour avoir planté des œufs de canes sur leurs parterres. Anak est vraiment le complice de son frère et ne jalouse nullement ses étranges pouvoirs. On dirait même qu’il s’en accommode exactement comme s’il faisait partie de la personnalité de Kana. Le fait de voir son jumeau se faire soulever dans les airs ne l’impressionne plus depuis qu’il a vécu bien d’autres situations étranges en sa compagnie. Quelques jours avant cet événement, son frère a traversé la rivière Eméraudia en courant sur les eaux. Puis, peu de temps avant cela, il vit Kana disparaître près de lui pour le retrouver l’instant d’après au bout d’un sentier. Cela prouve selon lui, que les Grands-Prêtres ne sont pas les seuls à pouvoir accomplir ce prodige grâce à leurs glaçons magiques. Anak est habitué à vivre de tels phénomènes et ne s’en étonne plus outre mesure. Depuis un certain temps, Dorgon se fie sur eux pour venir s’occuper de son vaste jardin de lotus bleus. En cela, les jumeaux sont fiables et serviables mais Anak se demande toutefois pourquoi les visiteurs qui doivent rencontrer le mutant se plaignent de devoir gravir les quelques deux milles marches qui mènent au sommet de la montagne. Il ne se souvient pas d’avoir eu à monter plus qu’une centaine de marches pour aller arroser le jardin de Dorgon. Il se doute évidemment que les pouvoirs étranges de son frère y sont pour quelque chose!

Le ciel arkarien devient de plus en plus rouge. Les Grands-Prêtres se rassemblent sous la tour en or pour s’y entretenir avec le jeune Souverain qui apparaît toujours sous forme d’une boule de feu. Il leur dit qu’il a longuement discuté avec le Maître du destin et qu’ils ont décidé d’un commun accord, de corriger certaines rumeurs parmi les religieux qui laissent supposer que le peuple arkarien deviendra immortel sur sa nouvelle planète. Le Cœur royal désire leur faire comprendre qu’ils se trompent en prenant le monde intemporel pour une dimension où la mort n’existe pas. La différence entre le plan temporel et intemporel peut se comparer à un gros livre où le passé, le présent et l’avenir coexistent dans le même volume. Chaque page contient un certain nombre d’événements temporels puisqu’ils se trouvent sur chaque page spécifique. Par contre, l’ensemble des pages que peut feuilleter un lecteur, peut être considéré comme l’ensemble de ce qui se passe dans le monde intemporel. Une page, c’est temporel et le livre dans lequel elle se trouve serait l’intemporel. Pour un livre, la première ou la dernière page se lit aussi clairement. Un immortel vit dans l’ensemble du livre et non seulement sur l’une d’elle comme dans le monde temporel. Le jeune Souverain avoue d’une voix qui rappelle celle d’un enfant grondé par son grand frère, qu’il n’a pas été sage en maintenant les Paysans en vie si longtemps. Il a finalement compris ce que le Maître du destin tente de lui expliquer depuis que Chronos exige de tourner la page. Il croyait aimer les Entités en les laissant vivre dans un corps aussi longtemps. Tout ce qu’il a obtenu, c’est qu’elles cessent de voyager dans l’éternité. Il compare cela à un voyageur qui se propose d’évoluer en parcourant chaque page du gros livre de la Vie, mais quelque chose le retient toujours sur la même page. Il finit par la connaître par cœur et perd le goût de voyager. Il n’a plus d’intérêt ou de curiosité envers ce gros livre qui contient la connaissance et l’expérience. La mort ne peut venir le chercher pour un autre voyage… Le Cœur royal reconnaît qu’il est responsable d’avoir retardé l’évolution des Entités en les retenant trop longtemps dans son royaume. Il croyait les aimer en agissant ainsi jusqu’au moment où la réalité est venue lui ouvrir les yeux. Arkara doit disparaître qu’il le veuille ou non. C’est pour cela qu’il ne veut pas répéter cette erreur sur l’autre planète. Le peuple devra vivre le jour et la nuit, éprouver le besoin de dormir, vieillir, mourir et quitter cette planète pour connaître d’autres niveaux de conscience ailleurs. Il veut également retirer cette illusion de croire qu’on peut traverser dans l’autre dimension sans d’abord mourir. Il n’y a que les Immortels ou Olympus qui puissent voyager dans les deux mondes sans devoir à chaque fois traverser un corridor où les Entités doivent attendre d’être entièrement libérées de leur matière physique avant de pouvoir passer dans un autre monde. Lorsque la planète disparaîtra, le peuple ne verra qu’une lumière puis, l’instant d’après, s’imaginera voyager dans le cosmos avant d’arriver dans l’autre dimension où se trouvera la nouvelle Arkara. Les Paysans, Connients, animaux et insectes reprendront un corps identique à celui qu’ils auront quitté sans même le réaliser. Le Cœur royal prépare déjà les Grands-Prêtres à la fin du monde et leur révèle plusieurs choses sur des événements qui se produiront bientôt.

Les jumeaux découvrent de la teinture verte près des deux grosses tortues de Finibus et Débunibus. Les conteurs fouillent une petite colline à la recherche de moppoussins, les plus petits insectes de la planète. La carapace de ceux-ci possède ce pouvoir de permettre aux conteurs de voir et entendre tout ce qui se passe dans le monde minuscule des insectes. Donc, les farfelus vieillards qui portent toujours leurs bonnets de Père Noël, sont trop occupés pour remarquer les jeunes espiègles teindre leurs montures d’un beau vert qui s’apparente tellement à celle de l’herbe, que les deux myopes et distraits personnages ne les remarquent pas en revenant de leur exploration. L’un d’eux bascule par-dessus sa monture et l’autre se moque de lui à cause de la teinture qui recouvre à présent sa tunique rouge. Les conteurs sont beaucoup plus futés que les jumeaux puisqu’ils font semblant ne plus voir de tortues. Ils jouent le jeu comme deux enfants étonnés par ce prodige. Les jumeaux s’empressent de sortir de leur cachette pour leur dire qu’ils viennent de leur jouer un bon tour. Ce qu’ils ignorent cependant et qu’ils comprendront beaucoup plus tard, c’est pourquoi cette fichue teinture se trouvait là par hasard? Les conteurs voulaient pouvoir explorer des endroits discrètement et se sont adressés aux Connients pour obtenir une teinture en mesure de camoufler la présence de leurs tortues. Ils ont déposé deux pinceaux et deux chaudières près de leurs montures avec l’intention de les teindre dès leur retour de la colline. Les jumeaux ont fait le travail pour eux en croyant leur jouer un bon tour.

Il est tard et Anak aimerait bien revenir au village lorsqu’il quitte ce champ où les deux conteurs s’éloignent en donnant l’impression de flotter sur l’herbe. Les jumeaux marchent un moment sur un sentier lorsque tout à coup, sans avertissement, Kana change de direction. Son jumeau lui fait remarquer qu’il n’y a rien par là et qu’ils seront en retard pour le repas s’il ne revient pas maintenant. Mais Kana semble ne rien entendre mais n’en est-il pas ainsi chaque fois que quelque chose d’étrange se prépare! Anak le sait tellement bien qu’il choisit de lui demander s’il préfère être seul. Son jumeau lui demande en souriant s’il a déjà vu des arbres entiers dans la forêt enchantée? Anak le corrige en répondant qu’il ne s’agit pas d’arbres entiers, mais d’« entités. » L’air songeur de son frère lui dicte que son jumeau s’apprête à rechercher ce fameux bois magique. Alors il le prévient que leurs parents ne les autorisent pas à entrer dans cette forêt sans permission. Ils ne font que répéter ce qui se dit car en réalité, ce n’est ni Adamas ou Gracia qui pourrait accorder une telle faveur et encore moins interdire à Kana d’y entrer. Anak sait tout ça mais cherche uniquement un prétexte pour contenir la curiosité de Kana. Finalement, lorsqu’il réalise qu’il perd complètement son temps à tenter de le ramener à la maison, il s’éloigne en maugréant qu’il va être en retard. Un joli papillon vient taquiner le visage de Kana et celui-ci l’attrape dans ses mains. Il écarte légèrement ses doigts et tente de voir l’insecte qu’il vient d’emprisonner mais une petite voix l’interpelle en lui demandant d’ouvrir ses mains. Ébahi, il s’exécute et s’aperçoit alors que c’est une jolie fée qui est assise au creux de ses paumes. Elle s’excuse d’être passée trop près de lui. Pour démontrer son bon vouloir, elle fait celle qui lit les lignes de sa main. Elle lui dit qu’il est amoureux d’une jolie Paysanne et Kana retient son souffle car il aime en silence la fille du gardien de la tour pyramidale qui s’appelle Osis. Le jeune amoureux lui demande aussitôt si Osis l’aime autant que lui? La petite fée se contente de lui répondre qu’il devra tenter de sonder son cœur pour le savoir. Elle essaie de lui faire comprendre que cette Paysanne ne sera jamais son épouse. Elle lui dit que lui et Osis sont comme les deux ailes d’un joli papillon amoureux. Lorsque celui-ci se pose sur une fleur, ses ailes se rapprochent si près qu’elles peuvent s’embrasser pendant un court moment. Puis, lorsque le papillon décide de reprendre son vol, ses ailes reprendront chacune leur mission de voler et ne pourront s’embrasser de nouveau qu’au moment où l’insecte trouvera une autre fleur sur laquelle il désirera permettre à ses ailes de s’embrasser. Kana est encore trop jeune pour comprendre qu’un missionnaire a besoin d’une âme sœur pour le soutenir dans la vie. En fait, comment lui dire ou encore lui faire deviner que l’amour d’Osis dépasse toute forme d’attachement émotif ou possessif? Osis lit déjà dans le cœur de ce garçon et Kana le sait si bien qu’il n’ose jamais la regarder droit dans les yeux. La fée papillon s’envole en laissant le futur missionnaire seul avec ses pensées.

Kana décide de s’en retourner chez lui et marche un moment lorsqu’il se fait aveugler tout à coup par une lumière. Il distingue ensuite une forme qui prend l’aspect d’un vieillard bienveillant. Il se retrouve devant le Grand-Maître Adiech, le Maître de la Conscience éveillée qui lui explique qu’il va veiller sur lui, peu importe où il se trouve, et l’éclairera lorsqu’il sera tenté de se décourager dans la vie. Il demande à l’enfant de s’agenouiller et pratique une légère égratignure sur son front en se servant de son ongle. Une intense lumière s’introduit alors dans la plaie. Le Maître disparaît et lorsque Kana se relève lentement pour se toucher le front, il ne ressent plus aucune douleur et il n’y a dorénavant plus aucune trace de cette lésion pratiquée par le puissant Maître. Soudainement, le jeune adolescent entend une étrange mélodie qui semble provenir de toutes les directions à la fois. Le sentier disparaît et tout le décor par la suite. Kana sait qu’il se trouve à présent dans la vallée musicale. Il s’y promène un court moment avant d’entendre de nouveau cette musique qui s’informe si ce visiteur est le bienvenu dans la vallée. Kana doit se boucher les oreilles jusqu’au moment où la voix du Grand-Maître Adiech demande aux sons de laisser le visiteur tranquille. Celui-ci pourra maintenant se promener partout dans ce lieu où même le reflet des arbres sur le sol produit une douce mélodie. L’enfant aimerait bien passer l’éternité dans ce paradis. Les prés sont recouverts de fleurs et d’arbustes inconnus du jeune visiteur. Il voit aussi des petits arcs-en-ciel sortir du sol pour ensuite faire des bonds prodigieux, telles des gazelles en liberté. Kana longe bientôt un étroit torrent qui le conduit directement devant une chute d’eau provenant du sommet d’un volcan éteint. Il est fasciné par cette chute musicale. Il essaie en vain de voir où elle prend sa source puisqu’un épais nuage entoure le sommet du volcan et empêche ainsi le visiteur d’obtenir cette information. Il voit des vignes à raisins sur l’un des côtés de la chute, et de l’autre se trouvent quelques jolis rosiers. L’enfant parvient avec une rare habilité à se confectionner une couronne de fleurs. Le visiteur se risque ensuite à croquer dans un raisin de la taille d’une prune et s’enivre aussitôt. L’effet ne dure que quelques secondes, sauf que l’enfant préfère ne pas terminer son fruit. Il va plutôt se doucher sous la chute musicale. Il rit en plaçant ses mains sous cette pluie multicolore qui improvise une étonnante musique. Intrigué, Kana découvre une crevasse derrière la chute et s’y introduit prudemment. Il se retrouve alors à l’intérieur de l’immense cratère et remarque que les parois suintent à grosses gouttes et lorsque celles-ci tombent sur un sol aussi lisse qu’un miroir, des sillons se forment comme sur la surface de l’eau. Pourtant, l’enfant est convaincu de marcher sur quelque chose de solide et effectivement, il avance lentement vers un escalier d’ivoire qui se divise en deux. Le premier escalier est éclairé par la lumière du jour et monte en tire-bouchon jusqu’au sommet du cratère, alors que le deuxième descend jusqu’aux entrailles de la planète. Kana trouve étrange de voir de la lumière à l’intérieur du sol qui ressemble en plus à celle du jour ? Une voix qui lui rappelle celle du Maître Lemu, lui dit que cet escalier conduit à une fontaine magique, et que celui qui boit de son eau verra sa vie se prolonger. La voix paternelle propose alors à l’enfant de monter l’escalier qui mène au sommet du cratère. Elle ajoute qu’il pourra ainsi contempler les environs. Kana s’exécute et trouve l’endroit vraiment superbe. L’observatoire se trouve si haut que le sommet du cratère ressemble à une grosse marmite remplie de nuages. Kana possède une vue exceptionnelle du canton d’Atlantis. Lorsqu’il voit à cette hauteur les immenses champs de blé, les vergers et les vignobles, l’observateur découvre en même temps pourquoi les Luminatisiens ont choisi justement le mot « Paysan » pour désigner la nature des Arkariens. La voix du Maître Lemu demande au garçon de ne pas s’étonner de voir à présent dans le ciel une vision de l’histoire arkarienne. L’enfant assiste à la naissance des planètes qui vont devenir Luminatis, Pyra, Bizarra, Centaure, Mutant et Chaos. Il comprend ensuite beaucoup mieux la nature des Luminatisiens, des Mutants, des Djinardiens, des Connients et des Paysans aussi. Il voit tellement de choses qu’il ignore combien de temps a duré cette projection dans le passé. Kana entend alors le mugissement terrible de Baa-Bouk et préfère redescendre en vitesse de son observatoire. Il sort de la faille en se demandant sérieusement si le monstre n’est pas à sa poursuite.

Kana se sent à peine remis de sa frousse lorsqu’il se retrouve de l’autre côté de la chute. Au même instant, un fort étrange volatile bat difficilement des ailes au-dessus du torrent et chute finalement dans celui-ci. La secousse est telle que l’enfant tombe à la renverse et est entraîné malgré lui par le courant. Il ne peut ralentir sa descente vers le dragon toujours immobile et véritablement étendu en travers du cours d’eau. Le jeune adolescent a peur et cherche à se relever à tout prix. Mais peine perdue, son destin le mène directement sur les flancs du monstre. Kana remarque aussitôt la présence d’une pierre qui s’est introduite sous l’une des ailes du volatile. Il réalise alors que le blessé souffre beaucoup, qu’il garde les yeux grands ouverts et surtout qu’il respire avec difficulté. L’enfant n’hésite qu’un instant et lui retire rapidement cette pierre. Il panse ensuite la plaie en appliquant sa couronne de fleurs sur celle-ci. La blessure disparaît rapidement. Kana s’empresse alors de sortir du torrent dès qu’il réalise que le dragon cherche à battre des ailes de nouveau. Le jeune soigneur n’ose s’avouer qu’il n’a jamais vu un animal aussi étrange. La bête se redresse lentement sur ses pattes et s’éloigne en prononçant le mot : merci! Le dragon ou plutôt la dragonne préfère s’asseoir à distance puisqu’elle sait très bien que ce garçon éprouve de la crainte. Elle a raison, car de nouveau, la curiosité de Kana reprend le dessus et la conversation s’engage entre eux. La voix de la dragonne est si douce et maternelle que Kana oublie rapidement qu’il se trouve devant un monstre, et adopte plutôt une attitude amicale. Il raconte à l’étrange animal qu’il connaît trois gentils dragons verts à qui les enfants ont donné des noms. Il explique que Bouilli est celui qui passe tout le temps dans les eaux chaudes du marais. Puis Boule-Boule devient rond comme un gros ballon lorsqu’il mange des nénuphars. Il accepte souvent de laisser ses jeunes amis se suspendre à ses pattes afin de les promener dans les airs. Finalement, le plus gros des dragons verts est Bouffi. Le monstre écoute d’un air attendri les jolis noms que les enfants ont donnés aux dragons avant de demander quel nom serait approprié pour lui. Kana réfléchit un moment. La voix du Maître Lemu lui suggère de choisir « Chimo. » La dragonne opine d’un léger signe de tête. La voix insiste pour qu’il ajoute le préfixe « Belle » au mot déjà choisi en rappelant gentiment au garçon qu’il ne s’adresse pas à un dragon mais plutôt à une dragonne! Kana n’hésite pas à prononcer le nom secret de la gardienne de la rose fantastique en disant : Belle-Chimo. La dragonne opine cette fois-ci d’un signe affirmatif. Le jeune adolescent lui demande comment il peut sortir de cette vallée car il croit qu’on doit s’être inquiété pour lui. Il indique qu’il a sans doute passé plusieurs années dans cet endroit. La dragonne lui explique que contrairement à sa perception, son absence n’aura duré que quelques heures. Elle lui propose ensuite de le reconduire près de chez lui à moins qu’il éprouve du dédain à monter sur elle. Kana lui sourit et n’hésite pas à grimper rapidement sur la dragonne qui s’envole ensuite en emportant le jeune héros vers le canton d’Atlantis.

La panique s’empare des travailleurs de la carrière lorsqu’ils voient la Belle-Chimo planer au-dessus de celle-ci. Le Grand-Prêtre Lemu qui se trouve être là en compagnie de Gerbin, tentent tous les deux de ramener au bercail les pauvres fugitifs. Mais la dragonne ne facilite pas leur travail car celle-ci s’amuse à lancer son feu à quelques mètres seulement d’un Connient, pour ensuite cracher son eau sur le début d’incendie qu’elle vient elle-même d’allumer. Elle donne vraiment l’impression de vouloir impressionner son jeune cavalier, bien que ses gestes servent au contraire à donner un avertissement à la secte « Blanc et Noir » qui comprendra de ne jamais s’aviser à nuire à la mission du jeune héros qu’elle voyage sur son dos. Lemu sourit en voyant Alba et quelques amis se jeter face contre terre lorsque la dragonne s’amuse à les frôler de ses pattes épineuses. Ils ont eu si peur de ce monstre que le jeune missionnaire ne les verra pas se mettre en travers de sa route. Kana est enfin déposé à quelques kilomètres de son village puisque la dragonne ne tient pas du tout à se montrer aux habitants que lorsque cela est vraiment nécessaire.

Le jeune cavalier affiche un air déçu puisqu’il se retrouve non seulement à pied, mais ne pourra impressionner ses amis en voyageant sur un dragon unique en son genre. Il marche donc sans se presser lorsqu’il est interpellé par Lemu. Celui-ci est maintenant très vieux et marche toujours en compagnie d’Adep, son élève accompagnateur. Il trouve surtout utile d’utiliser la canne ornée d’un poisson en or qu’il a trouvé autrefois sur le bord d’une route. Kana s’empresse de venir s’agenouiller devant le vieil homme qui pose alors ses mains sur sa tête en lui demandant ironiquement si cela est dans son habitude de voyager sur le dos d’un dragon ? Le jeune adolescent s’excuse pour le tumulte créé par la Belle-Chimo et entend aussitôt le petit rire amusé du Grand-Prêtre qui lui répond ensuite qu’un peu d’exercice ne pouvait pas faire du tort aux travailleurs. Il demande au garçon s’il peut arroser les jolies fleurs de lotus de Dorgon. Kana lui répond qu’il le fera avec plaisir sauf qu’il déplore l’attitude du mutant Myotis. Il raconte alors qu’il se préparait à emprunter l’escalier qui mène chez Dorgon lorsque son frère Anak s’est fait saisir par la cheville en passant devant un arbuste. Myotis lui a demandé s’il avait la permission de passer sans son autorisation. Il a fallu que Polar et Bylis interviennent pour qu’il lâche Anak. Selon Kana, le rire terrible de Myotis était très déplaisant. Ce qu’il trouve encore plus triste dans tout cela, c’est que son jumeau a eu très peur et qu’il a même pleuré en tentant désespérément de se libérer. Kana montre son poing pour indiquer qu’il en a vraiment assez de voir Myotis les ennuyer à chaque fois qu’ils vont s’occuper du jardin de Dorgon. Le Grand-Prêtre rassure le jeune adolescent mais qui insiste tout de même pour que celui-ci parle de cela à Dorgon. Selon lui, Myotis n’est pas autorisé à déranger les visiteurs qui se rendent chez le protecteur de la planète. Après le départ de Kana, l’élève demande d’une voix réservée si ce mutant ne se montre pas un trop agressif dernièrement? Lemu lui répond qu’il craint surtout de le voir dévorer quelqu’un. La prudence exige qu’on le garde à l’œil encore plus.

Comme à chaque matin, la famille d’Adamas fait ses remerciements au Cœur royal pour sa bonté. Puis chacun arrose sa fleur de cristal en se servant d’un petit vase en forme de conque marine. Il est facile de deviner ce moment du jour puisque le matin, la lumière est la plus intense. Jusqu’à ce jour, personne n’est encore parvenu à deviner à quel moment les fleurs de cristal vont éclore. Car c’est le Maître du destin qui décide seul quand cela se fera pour chaque entité. En attendant ce jour où les fleurs vont s’ouvrir dans toute leur splendeur avant de se déraciner d’elles-mêmes du sol pour se laisser cueillir, Adamas et sa famille se plaisent d’accomplir leur devoir en arrosant ces petits trésors avec amour. Après les remerciements, Kana et Anak s’empressent d’aller rejoindre leurs amis dans un champ de blé. Leur père en profite pour dire à son épouse que le comportement de Kana change de jour en jour. Il se tient moins souvent en compagnie de son frère et ne joue même plus de tours à personne ! Il a vieilli sans doute. Tout de même, des rumeurs circulent à son sujet. Certains disent qu’ils l’ont vu passer au-dessus de la carrière sur le dos d’un dragon si monstrueux que personne n’aimerait voir celui-ci se poser dans leurs cours ! Adamas se dit disposé à oublier ces racontars puisque Kana lui en aurait parlé si cela était vrai. Gracia baisse les yeux en disant que son fils a le droit d’avoir ses petits secrets. Adamas est tout de même inquiet. Il ne comprend pas pourquoi l’étoile de son fils n’était pas dans le ciel lorsqu’il la chercha l’autre jour. Il se proposa même d’aller voir Lemu pour rapporter sa disparition lorsque celle-ci réapparût de nouveau au-dessus de la carrière. Il ne sait vraiment pas où se trouvait son fils avant cela. Gracia a remarqué le même phénomène sauf qu’elle sait déjà, dans son cœur de mère, que son petit Kana possède des dons trop particuliers pour ne pas avoir deviné qu’il est ce missionnaire de la fin des temps. Son époux le sait également même s’il fait mine de l’ignorer.

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